La noce campagnarde

La Noce campagnarde envahit la mairie,
Mais la belle promise au cœur contrarié
Sait qu'elle doit hélas ici se marier
Avec un cul-terreux, ses porcs, sa métairie!

L'adjoint, triste cocu dont l'écharpe est flétrie,
Lit d'une voix lugubre, au ton peu varié,
Le Code préconçu pour inventorier
Les devoirs des époux. Ah!... quelle confrérie!

Le fruste paysan rêve à ses animaux,
L'édile enfin s'adresse à la fille en trois mots :
Jurez-vous de l'aimer, d'être femme fidèle?...

Soumise, à l'avenir, vous porterez son nom.
Et l'on entend alors la charmante pucelle
Répondre : Pas d'accord, Monsieur, je vous dis NON!...

Le Christ démembré

C'est un Christ mutilé, qu'au fond du cimetière
J'ai sorti de la fosse où l'on jette les fleurs.
Sincèrement ému, j'ai versé quelques pleurs
Sur cet objet noirci, recouvert de poussière.

Image désolée, où la souffrance entière,
Offerte en holocauste, inonde alors nos coeurs.
Dieu ne se trouve pas du côté des vainqueurs ;
Des victimes d'abord il entend la prière!

Ainsi Jésus ressemble aux pauvres estropiés,
A ceux qui sont sans bras ou qui n'ont plus de pieds,
Traînant sur les chemins leur croix sacrificielle.

Mais un jour, dans la gloire ils ressusciteront.
Leurs corps, ayant reçu grâce pénitentielle,
Beaux comme des soleils toujours resplendiront!...

Le poète assassin

Un poète malade, habité par les vers,
A l’heure où le ciel bleu devient crépusculaire,
Propose ses recueils, de style épistolaire,
Dans une rue infâme, à des passants pervers.

L’Artiste autour de lui transcende l’univers,
Mais au cœur de la ville il mendie un salaire,
Car sa quête du Graal demeure impopulaire :
Le public insensé la décrypte à l’envers.

Soudain, devenu fou devant si peu d’estime,
Il sort son vieux canif puis cherche une victime.
Alors en un instant bascule son destin :

Les yeux pleins de lueurs comme un brasier de forge,
Furibond, il me crie : Atroce Philistin,
Achète mes sonnets ou je t’ouvre la gorge!

Salammbo

Ce sont eux les héros de la guerre punique :
Gaulois, Numides, Grecs, mercenaires sans nom
Qui vont à la bataille au bruit du tympanon
Au service de Rome, insolente et cynique.

Ils marchent vers la mort sans regret ni panique
Farouches contempteurs du général Hannon.
Le vaincre ou trépasser, clause sine qua non 
Pour chérir Salammbo d'un amour platonique.

La fille d'Hamilcar, prêtresse de Tanit,
Fait battre leur vieux cœur qu'on eût cru de granit.
Mais bientôt se réveille aux tréfonds de leur âme

Un désir plus subtil, O le rêve charmant :
Faire tomber Carthage et ravir cette femme.
Chaque barbare alors se croira son amant.

 

Au cirque

En ce temps là j'étais un adolescent triste
Élève malheureux de maîtres sans pitié
Ne recevant jamais un geste d'amitié,
Personne ne m'aimait. pourtant l'Amour existe !

Alors, face à l'échec de ma quête humaniste,
Accablé de chagrin par tant d'inimitié,
Je rêvais de vengeance et d'Homme châtié
Dans un décor d'Enfer, sanglant, surréaliste.

Or un soir s'installa sur la place du bourg
Un cirque et son lion, aux accents du tambour.
Ravi, plein de désirs, j'ouvris ma tirelire,

Car cruel, j'espérais tout au fond de mon coeur
Voir, sous l'ovation de la foule en délire,
Le roi des animaux dévorer le dompteur!

La vipère du Lyon-Vals

Il existait jadis une course cycliste,
Lyon-Vals, au renom qui fut prestigieux,
Les coureurs à vélo, sportifs prodigieux,
Suscitant en mon cœur un plaisir symboliste.

Un incident soudain, presque surréaliste,
Vint briser des coursiers l’élan harmonieux
Le jour où tout à coup, un serpent odieux
Bondit dans les rayons d’un vélocipédiste.

Le champion sûr de lui, d’un geste machinal
Extirpa de ses freins le reptile infernal ;
Puis lança vers le ciel cet animal lubrique.

Et ce fut le miracle aujourd’hui reconnu :
Une femme adorable à la blanche tunique
Écrasa la vipère avec son pied menu.